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发信人: jujuzhu (bonne chance·疯狂法语), 信区: LangHeaven
标  题: [fr] Ingres,Picasso: 2 hommes aimaient les femmes 
发信站: 哈工大紫丁香 (Mon May 10 15:37:14 2004), 转信

Alors qu'au musée du Louvre, une cinquantaine de dessins d'Ingres sont exceptionnellement sortis des réserves pour être exposés au public, au musée Picasso, un face-à-face entre les deux artistes montre que leur démarche artistique est souvent très proche. 
Par Véronique Prat
[20 mars 2004] 

C'était après Waterloo, vers 1816. Grâce au duc de Wellington, les Anglais avaient pu reprendre leurs habitudes en Europe et satisfaire leur goût de voyages dans ce «grand tour» devenu un rituel pour les riches amateurs qui rêvaient d'Italie dans les brouillards de Londres. Arrivés à Rome, il était alors de bon ton de se donner le mot : pour quelques guinées, on pouvait faire faire son portrait par un excellent artiste français, avec, en prime, quelque monument antique à l'arrière-plan. Et c'est ainsi qu'un touriste britannique se rendit chez l'artiste en question : il frappe à la porte, qui est ouverte par un tout petit homme encore jeune mais déjà rondouillard, à qui il demande : «Est-ce bien ici que demeure le dessinateur de petits portraits ? Je souhaiterais qu'il fasse le mien.» Le petit homme devint violet et hoqueta : «Non milord, celui qui demeure ici est un peintre d'histoire», et il lui claqua la porte au nez.

Ingres venait de perdre un client et une commande. C'est pourtant grâce à ces portraits dessinés qu'il subsistait, mais il détestait cela. Lui se voulait créateur de grandes compositions allégoriques, littéraires ou religieuses, il se voyait l'héritier d'un art noble issu en droite ligne de ses deux grandes admirations de jeunesse : l'antique et Raphaël. Mais il fallait manger, et Mme Ingres tenait les cordons de la bourse. A voir le nombre de portraits dessinés qu'Ingres nous a laissés, il ne devait d'ailleurs pas en refuser si souvent. On en connaît près de 500, qui constituent une formidable illustration de la «comédie humaine» de l'époque. Quasi contemporain de Balzac, Ingres a su comme lui révéler dans ses personnages (ici, ses modèles) l'âme d'une époque. Devant lui se sont succédé les Rubempré et Birotteau, Maufrigneuse et Grandlieu, mais aucune de ces filles de joie promptes au sacrifice si chères à Balzac. Mme Ingres n'aurait pas laissé faire, et d'ailleurs M. Ingres n'aurait pas osé.

Une bonne cinquantaine de ces merveilleux portraits et dessins sont actuellement montrés au Louvre, ce qui est chose rare et exceptionnelle tant les oeuvres sur papier, fragiles, ne supportent pas d'être exposés en pleine lumière. On ne les reverra donc pas de sitôt et pourtant, comment mieux découvrir que dans ses dessins cet artiste qui passe pour le pur produit d'un classicisme sage mais qui a cependant inspiré certains maîtres modernes, et parmi eux l'artiste le plus novateur et le plus révolutionnaire du XXe siècle, le Picasso des années 1915-1925 ?

Ingres est en effet doublement dans l'actualité cette semaine : alors même que ses dessins sont montrés au Louvre, une exposition qui se tient au musée Picasso révèle combien, sa vie durant, le peintre espagnol a conservé en mémoire l'exemple d'Ingres, l'a suivi, interprété, copié parfois au point d'être qualifié de «véritable M. Ingres» par Cocteau. D'un côté, donc, Ingres (1780-1867) qui s'éteint à l'âge de 87 ans, mari fidèle, artiste tellement plus audacieux qu'on ne le croit. De l'autre, Picasso (1881-1973) qui vécut jusqu'à 92 ans, amant volage, peintre tellement plus fidèle à la tradition qu'on ne le pense.
Rendez-vous près du tombeau de Néron 

Ingres, mari fidèle, cela lui va comme un gant. En 1813, installé à Rome depuis sept ans, il rêve de rencontrer l'âme soeur. Il y a bien une femme qui occupe ses pensées, Mme de Lauréal, mais elle est hélas mariée. Alors elle lui propose sa cousine, Madeleine Chapelle, modiste dans la région de Guéret. Pourquoi pas ? Ingres lui envoie son portrait (dessiné, évidemment). Elle déclara plus tard qu'il s'y était joliment flatté mais peu importe : elle est impressionnée à l'idée d'épouser un grand peintre, déjà célèbre et glorieux. Elle partit donc bravement pour Rome retrouver son fiancé inconnu qui lui avait fixé rendez-vous près du tombeau de Néron. Le 4 décembre suivant, elle l'épousait dans l'église San Martino ai Monti. Rien ne fut plus heureux que ce mariage arrangé : le peintre amoureux nous a laissé une dizaine de portraits dessinés de sa jeune femme, dont deux sont en ce moment présentés à l'exposition. Quand elle mourut, il fut au bord du suicide, en tout cas de la désolation, jusqu'à son remariage, trois ans plus tard, avec une femme qui lui fut, elle aussi, présentée par des amis. M. Ingres aimait être pris en mains.

Sauf pour sa peinture. Cet homme orgueilleux, atrabilaire, doctrinaire, qui ne lisait, de son propre aveu, qu'une vingtaine de livres, toujours les mêmes (Homère était de ceux-là), qui ignorait tout des poètes romantiques, pourtant ses contemporains, qui détournait les yeux devant les tableaux d'Eugène Delacroix, son grand rival qu'il haïssait, cet homme donc a priori bien peu sympathique, il lui suffisait de prendre un crayon en main pour être habité par le génie. On l'a comparé aux plus grands, à Dürer, à son cher Raphaël, bien sûr, à Holbein, dont il a égalé la puissante acuité psychologique, à Poussin dont il a renouvelé la vision classique. En même temps, Ingres a introduit dans ses peintures des déformations devenues fameuses (le dos beaucoup trop long, avec ses vertèbres excédentaires, de la Grande Odalisque du Louvre), des illustrations de rêves, profondes et noires, qui auraient enchanté la psychanalyse (le Songe d'Ossian du musée de Montauban, plus romantique que les romantiques n'auraient osé le peindre), d'extraordinaires bizarreries qui culminent dans l'étrange érotisme du Bain turc, ce tableau d'Ingres dont la beauté délirante n'échappera pas à Picasso.

Ils se ressemblent tant ! Tous deux trop doués dès leur jeunesse. Tous deux animés de la même passion charnelle pour le corps de la femme, assumée dans son oeuvre pour l'un, dans son oeuvre et dans sa vie pour l'autre. La nudité est inventée par Ingres, elle est consommée par Picasso. Tous deux sont à la fois admirateurs de la tradition et épris de la nouveauté la plus radicale. Tous deux capables des plus grandes audaces formelles. C'est après avoir épuisé toutes les possibilités du cubisme qu'il explore de 1907 à 1914, dont le style désarticulé pourrait d'ailleurs être mis en parallèle avec les fameuses distorsions des formes, les exagérations de la ligne auxquelles Ingres s'est laissé aller, que Picasso a besoin de l'exemple d'Ingres, encore lui, pour revenir dans sa peinture à une figuration classique, notamment dans ses portraits (Reverdy, Max Jacob, Diaghilev). Quant à la Grande Odalisque, elle n'a cessé de hanter Picasso qui va la copier, l'évoquer, mais aussi la disséquer, la démanteler : la modernité consiste aussi à tuer ce que l'on aime.


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                        走猪的路,让狗说去吧!


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